Le chantier sur lequel j'ai pu réaliser ce travail est a l'image de l'Inde. Gigantesque, ambitieux et un peu désorganisé pour nos regards occidentaux.
Prévenus de l'importance de l'éducation comme moteur du développement de leur pays, plusieurs magnats de l'économie Indienne se sont lancés dans d'importants projets éducatifs. Ainsi, DS Kulkarni, bâtisseur dans l'état du Maharashtra, s'est associé à la chambre de commerce et d'industrie du Valenciennois et au groupe éducatif Supinfocom. Ensemble, ils se sont lancé dans la construction d'un campus international abritant les trois écoles, sœurs jumelles de celles du nord de la France.
Supinfocom ou l'animation 2D et 3D est enseignée, Supinfogame d’où sortiront des concepteurs de jeux vidéos et l'institut supérieur de design qui forme des designers.
J'enseignerais pendant 9 mois à Supinfocom.
J'ai souvent entendu parler de l'Inde; par parents, amis, connaissances qui en ont visité certaines régions et en ont rapporté toutes sortes d'expériences. Par des magazines, des livres, des photographes qui en ont rapporté des images et des narrations extraordinaires. Et aussi par les médias, qui parlent souvent de la croissance de l'Inde, seconde seulement après la Chine.
En atterrissant pour la première fois a Mumbai, j'avais très envie de former mon opinion personnelle sur ce grand Pays, par une expérience, certes ponctuelle, dans le cadre d'un projet éducatif au cœur du Maharastra, une des régions a plus fort développement industriel du Pays.
Sachant que je me dirigeais vers une école en chantier dans la périphérie de Pune (a 180 km de Mumbai), je n'ai pu que remarquer le nombre extraordinaire de bâtiments en construction qui jouxtent l'autoroute: innombrables squelettes en béton constitués de piliers et planchers sur plusieurs étages, comme des créatures inquiétantes qui semblent se mouvoir dans l'air chaud et humide, a la recherche de chair...
Et a Pune, même ambiance, des chantiers partout; Une des facettes de l'impressionnante croissance économique indienne.
A mon arrivée sur le site de l’école, a environ 15 km à l'est de Pune, je découvre, ainsi que les autres enseignants français, que le chantier est très en retard. On démarre les cours dans des salles de classe sans fenêtres et cela provoque quelques problèmes car nous sommes en pleine mousson. Et les logements dans lesquels nous aurions dû habiter sont aussi loin d’êtres prêts.
En Inde, il n'est pas inhabituel de commencer à vivre ou travailler dans des sites encore en construction.
En Inde, les chantiers ne ressemblent pas aux chantiers qu'on voit en Europe. Je ne connais pas intégralement les normes de sécurité européennes, mais je peux facilementobserver qu'ici les échafaudages n'ont pas de filets de protection n'ont pas de plancher, les ouvriers ne portent pas toujours un casque et travaillent en tongues...
Le manque de machines et d'outillages est flagrant aussi: pas de moyens mécaniques pour mélanger le béton, pas de grues pour monter les matériaux, pas (beaucoup) de pelleteuses pour creuser les fondations, et j'en passe.
Au lieu des machines, un grand nombre d'hommes et de femmes, fluctuant entre 300 et 1200 personnes, aux dires des chefs de chantier, vivent et travaillent sur le site.
En effet, autour de chaque chantier, je commence à remarquer des petits villages tout à fait semblables à celui que je vois tous les jours au campus. Les inquiétantes créatures en béton se nourrissent donc de la chair de travailleurs et travailleuses qui font leur nid aux pieds de ces géants.
Naturellement intrigué par ce mode de vie si loin de tout ce que j'ai connu ou imaginé, je commence à me promener avec mon appareil photo sur le site du campus: petit a petit, je rencontre et je photographie.
Le coût très abordable des tirages par un labo en ville me permet de redistribuer de façon hebdomadaire les images à leurs propriétaires respectifs, et la chose est très appréciée. Au fil des jours et des mois, il me devient presque impossible de me promener sur le chantier sans que des dizaines de travailleurs me demandent de les prendre en photo: ils m'ont aussi affublé d'un surnom, je suis le photo-wallah. Je découvrirais plus tard, et avec un sourire, que wallah est un terme générique qu'on associe a une activité particulière, et l’on pourrait le traduire par "homme-photo", tout comme il existe des lait-wallah, des jounaux-wallah, etc.
De mon côté, j'ai envie d'en savoir plus. Grace à l'aide précieuse d'une de mes élèves à qui je demande d’être interprète, je peux recueillir des témoignages; je découvre ainsi que nombreux travailleurs ne viennent pas
des environs de Pune mais parcourent qui 200, qui 400, qui 800, qui 2000 km pour venir travailler et vivre - sur ce chantier, et que le salaire de la plupart de ces travailleurs est de 80 roupies par jour, soit environ 1,20 euro.
Dans le discours officiel du ministre des finances indien Shri P. Chidambaram prononcé au Norvegian Nobel Insitute à Oslo en Octobre 2007, il est question d'un programme de sécurité de l'emploi qui assure 100 jours de travail minimum a 80 roupies par jour pour toute personne vivant sous le seuil de pauvreté. Il n'est pas à exclure que les gens que je rencontre ici fassent partie de ces mesures gouvernementales.
Il faut aussi préciser que le coût de la vie est très modeste: pour donner un ordre d'idées, le prix d'un kg de riz, entre 12 et 20 roupies, d'un kg de tomates, 10 roupies.
Ce salaire leur permet donc de se nourrir, mais pas d'accéder à la propriété foncière ou d'un moyen de transport personnel.
Je ne suis pas étonné d'apprendre qu'ils sont issus de castes dites "basses", ils ne savent ni lire ni écrire, ont une idée très approximative de leur age et parfois ne connaissent pas le nom du village où ils sont nés.
En ma présence, ils sont souvent souriants et agréables.
Tous les interviewés se sont dit heureux de leur vie sur le chantier.
Je ne saurai jamais s'ils ont dit la vérité.
Mais j'ose le croire.
Les regards si francs et directs de ces hommes et femmes m'émeuvent profondément; de ces yeux, l'envie de recueillir mes images ici, pour les faire rencontrer à d'autres personnes et pour leur rendre en quelque sorte hommage.